Saison 2 Épisode #3 : L’IA peut-elle aider à la transition écologique ?
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Impacts environnementaux de l'Intelligence Artificielle
Dans cet épisode, animée Mélanie RAPHAËL, Experte numérique écoresponsable de la DINUM (Direction Interministérielle du Numérique), reçoit Gilles Vermot-Derosches, co-rapporteur du rapport "impacts environnementaux de l'IA" au CESE.
Description de l'épisode
Après un premier entretien avec @Fabienne Tatot, co-rapporteure de l’avis du CESE sur les impacts environnementaux de l’intelligence artificielle, Mélanie Raphaël poursuit la discussion avec Gilles Vermot-Desroches, également co-rapporteur du rapport.
- La manière dont le CESE construit des consensus multi-acteurs (entreprises, syndicats, associations) au service du législateur;
- Les défis concrets de l’IA : sur la conception et l’utilisation;
- Les limites et leviers d’action pour une IA écoresponsable.
Henri Verdier
Voix off : Bienvenue dans « MiNumEchos », le podcast de la mission interministérielle pour un numérique éco-responsable. Cette saison, nous explorerons trois grands défis. L'impact environnemental de l'intelligence artificielle, la mobilisation des agents publics et les enjeux liés à l'extraction minière. Des échanges concrets, des retours d'expérience et des pistes d'action pour construire ensemble un numérique plus durable.
Mélanie RAPHAËL : Bonjour à toutes et à tous, je suis Mélanie Raphaël, je travaille à la DINUM sur le numérique responsable. Dans ce nouvel épisode du podcast de la « MiNumEchos », qui est enregistré en mars, quelques temps après le sommet sur l'IA qui a eu lieu en France, j'ai la chance de recevoir M. Gilles Vermot-Derosches, qui est rapporteur sur le rapport « Impact de l'intelligence artificielle, risques et opportunités ». Je vous invite bien entendu à aller lire, ou au moins à aller lire la synthèse qui est très bien faite et qui nous permet de voir les neuf recommandations. Tout d'abord, merci beaucoup M. Vermot-Derosches d'être ici. Bonjour, je vais peut-être vous laisser vous présenter tout d'abord.
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Je suis vice-président de la commission environnement du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Je suis rattaché au groupe entreprise et je travaille chez Schneider Electric où j'ai été en charge du développement durable depuis 25 ans.
Mélanie RAPHAËL : Merci beaucoup. Peut-être une première question ! J'ai posé aussi ces questions-là à Madame Tatot qui est co-rapporteure. Quelques petites questions sur les travaux au CESE : Comment on se saisit de ce type de sujet ? Comment on travaille et comment on réunit tous les groupes autour de ce type de sujet ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Alors le CESE, c'est une chambre très intéressante, la troisième chambre constitutionnelle. De fait, on se saisit de deux manières différentes de sujets. Soit on est saisi par le Premier ministre au nom du gouvernement ou des assemblées sur un sujet sur lequel il souhaite que le CESE réfléchisse et fasse des préconisations. Soit le CESE lui-même, dans la réflexion qu'on peut avoir dans les commissions de travail, propose des thèmes et construit cette même réflexion.
Dans les deux cas, ça finit par un rapport dans lequel il y a en général deux rapporteurs qui viennent d'entités, de lieux différents et complémentaires. Il ne vous aura pas échappé que sur ce rapport « Impact de l'intelligence artificielle, risque et opportunité pour l'environnement », on y retrouve Fabienne Tatot qui représente le groupe CGT, et moi qui représente le groupe entreprise, mais ça peut être aussi des co-rapportages par des gens qui viennent de groupes de l'environnement, où se retrouvent des associations environnementales ou d'autres associations de jeunesse, de solidarité, familiales, d'autres acteurs du monde de l'entreprise, des expressions libérales ou bien des agriculteurs.
C'est dire comment l'enjeu principal du CESE, c'est en se saisissant d'un sujet... d'essayer de voir quel est le plus grand commun dénominateur de l'ensemble de ces acteurs pour arriver à des préconisations qui, et ce fut le cas de celles-ci, sont votées à l'unanimité ou en tous les cas à la très grande majorité. La puissance publique peut se dire, à la fin d'une saisine comme celle-ci, les neuf préconisations qui ont été votées à l'unanimité, si on les met en œuvre.
On n'aura pas d'un côté des acteurs patronaux ou tel ou tel acteur syndical ou associatif ou représentant des jeunes ou le monde de la culture, etc., qui diront « Ah non, mais là, on n'est pas du tout d'accord. » L'ensemble de ces acteurs ayant voté au nom de leur groupe, au nom des gens qui les ont nommés pour être au CESE, ce texte, ça donne un peu une boussole, une référence, on s'interroge souvent à savoir si les rapports du CESE sont assez lus, si le CESE est assez connu. L'important, c'est qu'il soit connu par le législateur, par celui qui écrit et fait la loi pour se dire dans telle ou telle direction, l'ensemble des acteurs du CESE se sont accordés sur un sujet.
La deuxième chose qu'on peut dire, c'est que finalement, quand on arrive à un rapport, l'ensemble des groupes va arriver à dire « ce n'est pas exactement ce que je souhaitais, je suis un peu déçu ». C'est assez normal puisque c'est là un consensus d'acteurs qui ont des visions différentes du monde, de la France, du champ économique, des enjeux environnementaux dans toutes les transitions qu'on a à vivre. Mais on trace un dessin dans lequel une étape est possible. Et c'est ce qu'on a essayé de faire avec ce rapport, comme d'autres dans d'autres types de rapports précédemment, l'élevage en France, l'animation du territoire, la fin de vie ou des sujets très, très différents. C'est là tout l'intérêt du CESE.
Mélanie RAPHAËL : Si vous vous interrogez sur le fait que les rapports sont lus, je peux vous dire que dans les administrations, on lit les rapports du CESE. J'étais ravie de voir que ce rapport ouvrait aussi la marche pour d'autres réflexions. On s'en est saisis dans les administrations, mais je vois que le Sénat s'appuie aussi sur les travaux que vous avez faits aujourd'hui pour produire leurs travaux.
Petite question, du coup, quand on lit les préconisations, il y a notamment une demande de transparence des entreprises. Et justement, comment vous avez travaillé dans votre groupe, comment a été perçue cette recommandation, comment elle s'incarne et comment elle devrait s'incarner ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Pour ce qui est des entreprises, toutes les entreprises ne sont pas à la même réalité par rapport à cette question de l'intelligence artificielle. On peut d'ailleurs dire que bon nombre d'entreprises françaises ont encore plus d'inquiétude que les citoyens sur cette question de l'intelligence artificielle. D'où vont les données des outils qu'ils sont obligés d'utiliser puisqu'ils ne les inventent pas ? Et donc, on ne peut pas tout à coup dire qu'il y a un monde de l'entreprise qui veut à tout prix que tout ça soit opaque, qu'on ne regarde pas, etc. Je crois que l'ensemble des PME, des ETI et beaucoup de grands groupes qui utilisent aujourd'hui l'intelligence artificielle sont en demande d'une régulation française, européenne, d'interopérabilité, de contrôle, de suivi sur l'intelligence artificielle et ne sont pas là à dire plus ça sera libre. Les enjeux de cybersécurité, aujourd'hui, touchent plus le monde de l'entreprise que les citoyens. Et on a vu des entreprises complètement à l’arrêt parce que leur système a été détruit, démoli en quelque temps et qu'il faut qu'elles reconstruisent. C'est vrai des acteurs publics. On l'a vu pour un certain nombre d'hôpitaux. On l'a vu pour un certain nombre d'entreprises. Et donc, les entreprises sont en demande de cette régulation.
Mélanie RAPHAËL : En écoutant la restitution que vous avez faite en plénière, vous commencez cette restitution en disant que l'IA, c'est une révolution sans doute aussi importante que l'électricité dans nos vies. Du coup, pour vous, cette révolution de l'IA, qu'elle est-elle ? Parce que finalement, l'IA, ça existe depuis longtemps. Pourquoi aujourd'hui, on en parle avec autant de force ? Et puis, qu'est-ce qu'elle va changer dans nos vies ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : De fait, l'IA est là. L'IA générative change un peu la donne et l'accélération des capacités qu'elle apporte, c'est ça qui crée de la nouveauté. Mais je me rappelle dans une audition, quelqu'un disant, le premier tableau Excel, c'est déjà l’IA par rapport à celui qui avant le faisait autrement, etc. On pourrait même dire que ma génération, 60 ans, qui est la première à avoir eu le droit à une calculatrice au baccalauréat. C'était interdit l'année avant moi. C'était un Texas Instrument 25, je crois. C'était la seule qui était autorisée. Beaucoup de gens à cette époque-là disaient « Non, mais mon Dieu, n'autorisez pas les calculatrices au baccalauréat. C'est la fin du monde. » J'imagine que pour un certain nombre de gens de ce jour-là, ce n'était pas de l'IA, mais c'était quand même le début du chemin dans lequel on est maintenant. Et on dira quelques mots sur ce que l'IA d'aujourd'hui change... à ce chemin qui nous a déjà fait faire beaucoup de progrès et dans lequel personne aujourd'hui voudrait se dire « je préférais qu'on revienne au monde où tout ça n'existait pas, parce que c'était un monde meilleur ». Je crois que la question, elle est de bien comprendre que là, il est une question d'humanité, parce que l'IA change beaucoup de choses. Vous parliez de l'entreprise particulièrement dans le monde de l'entreprise, dans la gestion des individus, la gestion des finances de l'entreprise, l'ensemble des logiciels d'innovation, d'éco-conception, d'optimisation de processus, de machines apprenantes. L'IA prend une place aujourd'hui particulière qui était très loin de ce qu'elle pouvait être il y a cinq ans. On n'est pas dans des années très, très, très, très à distance. Et donc, moi, je pense que le grand sujet du moment, et surtout quand on parle d'intelligence artificielle et d'environnement, c'est d'apprendre et de comprendre quels sont les enjeux, de les placer au bon endroit. Non, ce n'est pas vrai l'IA n'est pas la consommatrice de l'énergie. Quand on fait le parallèle à d'autres consommations d'énergie, il y a une augmentation de la consommation d'énergie. Mais si on fait, par exemple, une vision un peu globale, l'énergie dans le monde, 120 000 TWh. L’électricité dans l'énergie dans le monde sur une année, 20 000 TWh, le quart. On pense que dans les 3-4 années qui viennent, ça sera 30 000 TWh. Les data centers dans cette consommation électrique mondiale, c'est 1 à 1,5%. Allons à 2%. Donc ça veut dire que les data centers, c'est 2% de 20% de la consommation énergétique mondiale soit ramené à la consommation énergétique mondiale entre 0,003 et 0,04. Ça ne veut pas dire que ce n’est rien, d'autant que l'augmentation est très, très forte. On imagine qu'entre maintenant et 2028 ou 2030, on va doubler la consommation de l'IA. Ça, on sait bien le mesurer. Et je pense qu'on a à travailler dans des logiques de sobriété. D'ailleurs, les préconisations de notre avis jouent aussi sur cette question de l'éco-conception de l'IA. C'est probablement un sujet assez compliqué de parler de l'éco-conception des logiciels ou des structures qui font de l'IA, mais c'est un vrai sujet qui peut permettre de réduire profondément la consommation de l'IA. Pour ceux pour qui ce serait l'innovation, on pourrait dire en changeant d'échelle, un jour, on s'est aperçu que les veilles de nos appareils électroménagers consommaient beaucoup et parfois presque autant que l'appareil électroménager parce qu'elles étaient construites et mises dans l'appareil sans y faire très attention. Quand on s'est mis à y faire très attention, la veille consomme moins. Dans l'IA, il y a à peu près la même logique. Si on ne fait pas attention à la consommation du logiciel, etc. On peut avoir des consommations assez fortes et on peut tout à fait les réduire. C'est une dé préconisation. Et donc, je ne suis pas en train de dire que tout ça n'est pas une forte consommation d'abord, c'est de la consommation d'électricité, ce qui est un peu différent de notre consommation.
On peut avoir une vision à 20-30 ans et se dire qu'à 20-30 ans, l'ensemble de l'électricité sera produit de manière verte. C'est loin d'être le cas aujourd'hui. Ça l'est plus en France que dans d'autres pays européens. On pourra revenir un peu sur la France et l'IA par la suite. Mais moi, ce que j'ai envie de mettre sur la table, c'est qu'aujourd'hui, on voit ce qu'apporte l'IA. On le consomme sans modération. Je peux faire un parallèle. L'ensemble des gens aujourd'hui ont une idée que ce n'est pas parce que le réchauffage peut aller à 22 degrés et que, y compris en plein hiver, c'est plus agréable d'être à 22 degrés et très peu habillé qu'ils ne se disent pas qu'il vaut mieux arrêter à 19, le chauffage. Et donc, il y a quelque chose qui est rendu possible. Et on sait que, pour des raisons de coûts, mais aussi pour des raisons d'émissions carbone, de climat, il faut réduire. Voilà longtemps qu'on forme les gens sur qu'est-ce qu'il faut manger, plutôt des produits de saison, et que le produit qui vient de l'autre bout du monde, vous vous rappelez de ce titre « Je ne mangerai plus de fraises à Noël », on a su se former sur le sujet. Je crois qu'il y a un grand travail à faire de sensibilisation des gens pour ne pas utiliser tout le temps de l'IA quand ce n'est pas utile.
On sait aujourd'hui que la moitié des data centers sont remplis de photos de chats et parfois de films pornographiques et que tout ça représente de fait de 40 à 50 % des data centers. Il y a un grand travail sociétal. Le progrès n'est pas toujours derrière et il n'est même jamais derrière l'ensemble de cette consommation. J'ai envie de dire premièrement il faut repérer les consommations de l'intelligence artificielle qui sont des consommations de l'électricité. Elles vont doubler, tripler, mais on parle d'un pour cent, de 20% de la consommation énergétique mondiale. Ça vaut le coup de ramener les ordres de grandeur et pas seulement l'absolu de la croissance de cette consommation. Premier point, et puis, deuxième point, il y a un travail qui est peu fait, qui est celui de l'externalité positive de l'intelligence artificielle. Et qu'est-ce que ça rapporte ? Par exemple, on sait dire aujourd'hui qu'un bâtiment réputé intelligent... qui, par son usage, par des capteurs, permet de mieux comprendre comment le faire hiberner, à quelle température, quelle évolution de la température dans le bâtiment pour consommer le moins possible, comment faire en sorte que quand il n'est pas utilisé, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas de ventilation, quand il n'y a que trois personnes dans une salle, on fait une ventilation pour trois personnes et pas pour 40 personnes, etc. L'ensemble des mesures montrent que cette utilisation de l'IA dans un bâtiment tertiaire peut réduire de 20 à 30 % sa consommation énergétique. Cette réduction de 20 à 30 % de sa consommation énergétique, externalité positive, elle vient en contrebalancée de ce qu'est la consommation de l'IA. C'est facile de montrer ce que consomme l'IA aujourd'hui. On construit un data center, On sait combien ils consomment, mais en tous les cas, on voit un peu techniquement comment se mesure la consommation du numérique en général. De fait, en cohérence avec votre question, comme on ne sait pas très bien où commence l'IA et où finit l'IA, on ne peut pas savoir exactement comment commence sa consommation et comment elle finit.
En tous les cas, c'est assez facile de montrer cette consommation du numérique, 5% de la consommation électrique. Elle peut doubler dans les années qui viennent. Il faut travailler à repérer toutes les externalités positives de cet usage. Je viens de parler de celle du bâtiment. On a aujourd'hui plein de startups, d'ailleurs de startups françaises, qui créent des modèles et des solutions... qui d'ailleurs sont liées à l'environnement. Je pense à Morpho, qui est une solution qui utilise l'intelligence artificielle et des drones pour mesurer la forêt et pour pouvoir la replanter, la gérer mieux. Il y a pas mal d'IA aujourd'hui dans un sujet nouveau qui est la gestion des déchets, qui ne pourra pas se faire de manière optimale sans intelligence artificielle pour repérer quel type de déchets, pour les séparer, pour les réutiliser et faire des déchets, des matières premières comme celles de premier usage. C'est un sujet essentiel dans l'économie circulaire et aussi essentiel dans un moment où on se dit que ce qui va manquer le plus aujourd'hui, c'est ce type de matières premières. On parle du cuivre comme première matières premières qui pourraient... Dans un moment où on électrifie tous les usages venus à manquer, il y a pas mal aujourd'hui d'initiatives liées à des startups ou à des grandes entreprises qui utilisent l'intérêt artificiel pour réinventer cette manière de gérer ces sujets et ce qui permet d'une certaine manière d'être optimiste.
Mélanie RAPHAËL : Vous avez abordé plein de sujets. Je vais tirer un fil, on tirera les autres par la suite. Vous avez parlé notamment de s'éduquer sur les usages. Effectivement, si on fait ce podcast, c'est aussi qu'on cherche à sensibiliser et à mieux comprendre. Mais qu'en est-il justement ? Parfois, on ne peut pas du tout débrancher l'IA. On parlait notamment des moteurs de recherche qui incluent et qui utilisent directement aujourd'hui l'intelligence artificielle. On a plein d'usages où on n'a pas le choix d'utiliser des grands modèles. C'est surtout ça la question, puisque vous parliez de l'éco-conception, de ne pas avoir des modèles qui sont adaptés au cas d'usage et qui sont au plus proche du besoin. Mais on a des grands modèles qui sont utilisés quasiment pour plein d'usages et des usages un peu fourre-tout. Comment, justement, on peut avoir de la législation là-dessus ? Est-ce que c'est souhaitable d'avoir une régulation ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Une de nos précautions est de demander que, par exemple, dans chaque moteur de recherche, on puisse l'utiliser sans intelligence artificielle. Il y a déjà un certain nombre d'outils numériques qui disent avec ou sans intelligence artificielle. Nous, on voudrait que cette question se généralise, puisque quand on modélise l'ensemble de ces sujets, on dit qu'une requête avec intelligence artificielle c'est en gros 10 fois plus d'utilisation de carbone qu'une requête sans intelligence artificielle. À nouveau, tout ça est un peu global puisqu'on est en train de parler au niveau de la planète et d'une électricité qui est si différente quand on regarde le côté carboné de l'électricité, entre tel ou tel pays, on modélise l'idée, mais on sait que, par définition, il y a plus d'usage énergétique lorsqu'on utilise l'intelligence artificielle.
Donc, quand elle n'est pas nécessaire, ce n'est pas la peine de l'utiliser. Première remarque. Deuxième remarque, de fait, elle permet des modèles qu'on découvre un peu aujourd'hui. C'est-à-dire, que quand le GIEC, Il y a quelques mois, publie qu'il ira probablement dans ses modalisations deux à trois fois plus vite maintenant qu'il utilise l'intelligence artificielle. Alors, quelles conséquences on en tire ? On en tire qu'au mieux que le GIEC aille plus lentement, consomme pas l'énergie qu'impose l'intelligence artificielle ? Mais ils passent sur la table assez rapidement les modèles et leur évolution dans un climat dont on voit bien que sa détérioration s'accélère.
Non, évidemment, à ce moment-là, on est tous plutôt du côté positif pour dire que cette intelligence artificielle permet ça. Quand on réinvente ou quand on invente pour la première fois en 2024, depuis je crois 30 ans, un antibiotique et qu'il a été inventé par intelligence artificielle, là, c'est compliqué de se dire qu'est-ce que serait le monde sans être antibiotique ? Comment on mesure avant et après ? Quand on regarde les modèles météo dont parlent les agriculteurs, on a dans nos auditions plusieurs fois écouté le monde agricole dans la connaissance et la compréhension de la biodiversité. Ça, ça ne touche pas que les agriculteurs. Mais quand les agriculteurs utilisent des modèles climatiques, météo, pour de manière très, très précise, suivre le climat, mais aussi le vent, mais aussi une vision plus longue des semaines qui suivront pour planter, il y a là des questions essentielles sur la question alimentaire, sur la question de la souveraineté alimentaire pour un pays comme le nôtre. Moi, j'arrive à cette question parce que la sobriété alimentaire est capitale. On voit bien que l'intelligence artificielle change la donne aussi sur ce sujet-là. Donc, de fait, je crois qu'on a à réduire les usages inopérants, inutiles et qui, de manière sociétale, ne nous emmènent pas forcément dans la société dans laquelle on voudrait être demain. Et par ailleurs, bien se rappeler que cette IA, de toute façon qui avance, un pays comme le nôtre doit faire partie de ceux qui mettent sur le marché ou contribuent à ces avancées au risque sinon d'être dépassé. La création de valeur, c'est celle qui crée la richesse d'un pays.
Nos pays, y compris l'ensemble des systèmes de solidarité du pays, vivent sur cette capacité de création de valeur. On ne peut pas la laisser passer aujourd'hui et donc laisser passer la recherche sur l'IA . On voit bien le combat sur le sujet. Et le sommet qui a eu lieu à Paris, le sommet de l'action pour l’intelligence artificielle, a montré des acteurs mondiaux, mais aussi des acteurs français présents sur le sujet, qui permettent à la fois d'avoir une meilleure vision, mais cette vision va nécessiter réglementation, suivie, et puis des innovations pour consommer moins. Vous avez vu, dans les trois derniers mois, des annonces différentes sur la capacité de réduire profondément l'usage de l'énergie et de l'espace de l'IA. On a déjà eu une première annonce américaine sur un grand plan de, je crois, 300 milliards d'investissements sur l'intelligence artificielle et data center, suivi peu de temps après d'une annonce chinoise, pour dire, mais nous, on va avoir d'autres innovations et on va faire beaucoup mieux avec beaucoup moins d'espace et beaucoup moins de data centers, pour avoir récemment une annonce de Microsoft qui revient en arrière sur un certain nombre des contrats qu'ils avaient cités, qu'ils avaient signés sur justement des locations d'espace ou de la génération énergétique en disant finalement on n'aura pas besoin de tout ça.
Donc on voit bien qu'il faut regarder avec les yeux du présent pour être le plus rigoureux possible pour le futur, mais qu'en même temps, les innovations vont arriver nombreuses pour faire en sorte que dans les 5 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans, sur ce sujet, on soit dans des réalités bien différentes. Quand on parle d'intelligence artificielle aujourd'hui, qu'on regarde les 20 dernières années, qu'on regarde les 20 ans qui viennent, il faut à la fois des garde-fous sociétaux, des réglementations pour s'assurer régulièrement qu'on va du côté du bien commun, mais en même temps, voir toutes ces innovations qui, comme je le disais, mettent sur le marché de nouveaux vaccins, permettent de mieux prédire la météo, d'organiser davantage les modèles du GIEC, d'avoir des produits de gestion ou de surveillance du déchet plastique dans l'océan, de gestion des forêts, etc. Je crois qu'il y a beaucoup de choses qui sont en train de s'ouvrir devant nous et qui ont des externalités positives avec l'intelligence artificielle.
Mélanie RAPHAËL : D'accord. Je reviens du coup légèrement en arrière, même si je pense qu'on va ensuite pouvoir parler aussi d'innovation et d'externalités positives. Mais vous avez évoqué par rapport aux moteurs de recherche le fait de pouvoir décorréler l'IA de la recherche en elle-même. Mais ça, ça veut aussi dire pouvoir peser face au GAFAM, puisque la plupart des moteurs de recherche ne sont pas français. La première préconisation du rapport, c'est de peser sur la scène internationale. Et puis, si je reprends les mots de Clara Chappaz, « la France est dans la course ». Vous, à la sortie justement de ce sommet, est-ce que vous avez l'impression qu'on prend une place importante dans le monde ? Et quelle serait cette place-là justement ? Est-ce que ce serait dans l'innovation ? Est-ce que ce serait dans la régulation ? Dans la recherche ? Mais quelle serait la place, effectivement, de la France dans le futur de l'IA ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : C'est intéressant, il n'y a pas très longtemps, j'animais une table ronde dans laquelle il y avait des acteurs brésiliens, marocains, de l'Europe centrale et ils n'ont de toute façon pas la question des Français qui est de dire « Est-ce qu'on peut rivaliser avec les grands acteurs américains ? » Car ils savent très bien qu'ils ne vont pas rivaliser avec les grands acteurs américains. Et leur propos était de dire « Mais vous savez, sur ce sujet de l’intelligence artificielle, il y a beaucoup de sujets de focale particulière sur lequel on peut décider, à l'échelle de notre pays, de devenir un expert mondial, sans pour autant rivaliser, puisque c'est le mot qui est utilisé avec les grands GAFAM dont on voit bien aujourd'hui, qu'on a quelques inquiétudes, d'abord parce qu'ils sont américains, ensuite parce qu'ils sont hyper puissants. Je rappelle qu'on peut trouver dans des discours historiques de Donald Trump qu'il avait dit lui-même qu'à partir du moment où un moteur de recherche ou un autre produit ou solution n'a plus de concurrent, il doit être nationalisé. C'est un sujet assez intéressant, parce que je ne pense pas qu'il le dirait aujourd'hui. Mais c'est vrai sur un certain nombre de sujets. On pourrait d'ailleurs y compris le dire en France. Par exemple, Doctolib est un sujet aujourd'hui, mais c’était un outil... Ce qu'on appelle d'intelligence artificielle, en tous les cas, c'est un outil numérique qui a facilité grandement et change profondément la relation entre patients et médecins. Donc moi, j'ai le sentiment qu'il y a les grands GAFAM. J'ai le sentiment, quand on a fait les événements qui avaient lieu à Station F, que la France, l'Europe n’est pas complètement en dehors de la course, Mistral IA, etc. Il y a peut-être des choix à faire aujourd'hui en poussant ces innovations. Il y a aussi des moyens financiers privés et publics d'innovation. Et le grand marché européen... qui n'est pas le dernier de la planète, me paraît de nature a avoir des innovations qui peuvent être demain utiles et indispensables. Et puis, c'est vrai qu'on a l'impression aujourd'hui que ces très très grandes entreprises ne peuvent pas être concurrencées. Comparaison n'est pas raison, mais un jour on avait dit ça de BlackBerry. Un jour, on avait dit ça dans d'autres lieux de Kodak, d'autres entreprises. Vous allez me dire que ces boîtes-là n'avaient pas la taille qu'ont les GAFAM d'aujourd'hui. Ça, c'est vrai. Mais en tous les cas, elles étaient au-dessus de leur marché et tout le monde pensait que ce marché ne pourrait plus se penser sans eux. Et puis le marché s'est pensé autrement à cause d'innovations. On doit être très acteurs dans le monde de l'innovation. C'est essentiel pour à la fois notre souveraineté et le futur.
Mélanie RAPHAËL : Et pour être acteur, est-ce que justement, puisque vous êtes à Schneider Electric, vous connaissez bien aussi le sujet, pour parler de notre énergie décarbonée. Est-ce qu'on a besoin, par exemple, d'avoir le matériel chez nous ? Est-ce qu'on a besoin d'avoir des data centers qui sont maîtrisés ? Est-ce qu'on a besoin de travailler encore sur notre énergie ? Et quels seraient les autres impacts aussi ? Parce qu'on parle de l'électricité, mais qu'en est-il de l'eau et qu'en est-il de la gestion des autres ressources et des autres impacts environnementaux ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Alors probablement po ur marquer les esprits, on pourrait dire qu'une contribution de la France à l'humanité, c'est de mettre les data centers en France aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que quand je crois le kwt, parce que je pense qu'aujourd'hui, quand le kwt français aujourd'hui est en moyenne à 56 grammes de carbone. Il est plus de 5 fois ça en Allemagne, plus de 10 fois ça en Pologne, 3 fois ça en Espagne, 4 à 5 fois ça en Italie, je ne sais plus, mais à Chypre ou ailleurs, bien plus, et dans beaucoup d'autres pays dans le monde, tellement, tellement plus. Un data center en France va émettre beaucoup moins de carbone qu'ailleurs. Mais vous avez raison, il n'y a pas que la question de l'électricité et de ses émissions carbones. D'autant que quand on regarde les négociations climat, et même si elles ne vont pas aussi vite qu'on le souhaiterait dans leur mise en œuvre, l'électricité progressivement se décarbone un peu partout dans le monde. La moitié des panneaux photovoltaïques de la planète sont posés dans le seul pays chinois l'année dernière. L'Inde, qui est très, très en arrière sur le sujet, très en retard et doit augmenter très profondément sa production électrique, peine à avoir de l’électricité essentiellement renouvelable. Mais on voit bien qu'on est dans des trajectoires d'une électricité de plus en plus verte. Et donc, dans ce cas-là, cet avantage concurrentiel pourrait être réduit. En tous les cas, il y a une question de souveraineté sur nos propres données. Déjà, nos données publiques, mais on parlait du monde de l'entreprise, son intérêt à ce que ces données soient là, au plus près de lui, qu'elles soient emmagasinées comme ça en France, c'est le deuxième intérêt. Et puis le troisième intérêt, c'est aussi une position géographique de la France, qui fait que pour plein de sujets, on a plutôt intérêt de mettre les data centers au cœur de l'Europe que de les envoyer très loin. Après, il y a une question aussi d'équilibre en tout.
Quand aujourd'hui, on dit que l'Irlande arrête d’accueillir de nouveaux data centers, c'est qu'elle en a trop accueilli. Et donc, j'ai envie de dire, il y a une question d'équilibre en tout. Un data center, c'est plus que ce qu’on en a dit, c’est aussi un lieu de création d'emplois. Alors, pas de la même manière que le reste de l'industrie. Je n'ai pas le chiffre exact là, mais quand on crée un data center, il y a un certain nombre d'emplois à la clé au moment de la construction, mais aussi après. Il y a toute la question tout à fait récente, mais très indispensable, de l'usage par innovation de l'énergie fatale. Je crois que c'est le numérique qui aujourd'hui, c'est un exemple, chauffe la piscine de Levallois-Perret. Il y a d'autres exemples aujourd'hui, y compris avec des serres, c'est vrai aussi du nucléaire et de la chaleur fatale de ces installations. Je crois qu'il y a pas mal d'innovations aujourd'hui quand on est conscient de l'ensemble des données qui fait que oui, de fait, en France, aujourd'hui, on a à construire un data center parce que la France, en proportion en Europe, est le pays qui a le moins de data center. Le moins et souvent très loin par rapport à d'autres. Et à nouveau, je ne parle pas de l'exemple irlandais qui est particulier. Donc, on a à construire des data center, d'abord parce que notre électricité est décarbonée, ensuite pour notre souveraineté, et puis enfin parce que c'est aussi des lieux d'innovation qui permettent à nos entreprises d'être présentes sur le marché mondial, sur ces enjeux-là. Voilà pourquoi on a à les construire là. Après, de fait, il y a d'autres questions dans le data center que la question énergétique, et la question de l'eau, tout au long de la chaîne de valeur du data center. Il y a la question des terres rares. Il y a la question des matières premières, qu'elles soient ou pas terres rares. Là aussi, il y a pas mal d'innovations dont on voit l'arrivée et qui, me semble-t-il, sont à considérer. Sans être un rêveur, je pense que les innovations permettront, dans les générations à venir, de faire évoluer les data centers et les ordinateurs vers une utilisation différente ou plus durable des matières premièressans oublier toute la dimension de recyclage sur lequel toutes nos sociétés doivent beaucoup travailler parce qu'il est encore aujourd'hui bien trop faible et qu'il est pourtant promise de mis sur le marché une nouvelle matière première.
Mélanie RAPHAËL : J'ai une question parce que vous parlez beaucoup d'innovation et positive. On a beaucoup d'exemples. On a évoqué tout à l'heure avec Madame Tatot aussi les effets rebonds. Est-ce que vous voyez, vous pensez que la balance est visiblement positive dans ces innovations, mais est-ce que vous voyez des risques à pousser justement aussi une utilisation qui a l'air peu matérielle ? Parce que la problématique avec l'IA, comme on peut l'avoir avec le cloud, c'est que sur le cloud, on le voit, on a une explosion de l'utilisation du cloud et de la donnée parce qu'en fait, on ne voit plus sa matérialité. Est-ce qu'on a ce risque-là avec l'IA et est-ce que ces innovations pourraient être maîtrisées pour éviter ces effets rebonds ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Oui, on a bien sûr ce risque-là avec l'IA comme on l'a de manière générale avec le numérique, d'où mon propos que je peux réitérer de la nécessité de sensibiliser les gens, de les former et de prendre en compte les enjeux nouveaux. On a formé des générations d'ingénieurs sans jamais leur rappeler que la Terre était finie et en pensant qu'on aurait toujours suffisamment de tout pour tout le temps. On a longtemps porté, mis des solutions sur le marché sans s'apercevoir que le changement climatique allait intervenir et que l'homme y jouait un rôle important. On n'a pas vu, pas compris, pas été attentifs à la question de la dégradation de la biodiversité, en disant qu'une zone humide ne sert à rien, qu'il faut l'enlever, en étant finalement plus contents de voir moins d'insectes et d'avoir son pare-brise propre quand on roule, ce qui n'était pas le cas avant. Et puis finalement, on s'aperçoit que la biodiversité est indispensable à notre avenir, à la qualité de vie. Et puis, il y a beaucoup, beaucoup de solutions. On dépend de cette biodiversité, laquelle dépend aussi d'un climat dont l'évolution est maîtrisée. Tout ça, c'est des sujets sur lesquels on a progressé. On sait aujourd'hui, si je prends un exemple d'une industrie si importante pour beaucoup de personnes qu'est l'industrie automobile. On a su aussi avoir des pratiques différentes pour réduire les accidents de la circulation, parfois pas assez, etc.
Mais on forme aussi les gens sur le sujet. Sur le numérique, on n'a pas encore ce type de formation, d'information, de sensibilisation. Elles sont indispensables et requises. L'effet rebond. Vous mettez dans un bâtiment toutes les solutions indispensables à l'efficacité énergétique. Mais en même temps, vous ne sensibilisez pas les gens à la nécessité de sobriété. Ces solutions peuvent avoir comme conséquence qu'on va ouvrir la fenêtre et on se dit on consomme moins, ça nous coûte moins cher, ce n’est pas grave. Mais si on a à la fois ces solutions qui nous permettent d'améliorer nos usages, d'être plus efficients, et parce qu'on veut être sobre, d'entrer dans une dynamique plus responsable, on va les utiliser à bon escient. Alors, la planète est vaste. Les pays sont bien différents et singulièrement en face de cette question de l'intelligence artificielle. Mais force est de constater que se lèvent un certain nombre d'innovateurs, de start-up, d'acteurs de la génération digitale native, à la fois, on le dit plus que d'autres, intéressés à l'ensemble de ces questions de santé, d'environnement, parfois de solidarité, et que ces solutions-là, me semble-t-il, une fois qu'elles seront éduquées par leur usage et par une certaine responsabilité, seront plus utiles par leur externalité positive que, malheureusement, la consommation qu'elles vont utiliser. Et là encore, sur cette consommation, à la fois par des régulations, à la fois par de l'éco-conception des matériels qu’ils soient soft ou hard, et par une réflexion un peu nouvelle, on va créer des processus nouveaux qui sont indispensables à passer l'étape dans laquelle on est là. Ce que je ne sais pas, c'est si l'IA va répondre à toutes les questions. Ce que je sais, c'est que sans intelligence artificielle, on va dans le mur.
Mélanie RAPHAËL : D'accord. On va dans le mur, pourquoi ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Parce qu'on n'a pas les réponses aux questions de la dégradation dont on vient de parler, celle du climat, celle de la biodiversité, etc. Et qu'on voit qu'un certain nombre de ces solutions permettent de réduire les questions.
Mélanie RAPHAËL : D'accord. Donc, quelque part, vous vous rejoignez avec Madame Tatot sur la question de la finalité de l'IA, justement pour essayer d'avoir un impact positif. Quels seraient pour vous les critères pour déterminer qu'une IA ou l'utilisation qu'on en fait va dans le sens de l'intérêt général ? La finalité, en est visiblement une, mais vous avez parlé, par exemple, de financements publics, de législation, etc. Est-ce qu'il y a des critères qui vous paraissent minimums pour arriver à encadrer ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : C'est-à-dire qu'il faut un peu, malheureusement, de l’IA à tous les étages. Et que, l’IA à tous les étages, il faut réfléchir à la manière de l'utiliser. Vous avez dit, au début de ce podcast, qu'il était enregistré au mois de mars 2025, une semaine après que l'ensemble des pays européens se soient mis d'accord sur un effort de guerre, sa manière de le mesurer, etc. Cet effort de guerre ne se fera pas sans l'intelligence artificielle, à la fois pour, malheureusement, de nouvelles armes ou de nouvelles manières de faire la guerre. On voit d'ailleurs aujourd'hui de l'usage des drones, de l'usage d'une guerre qui n'a plus rien à voir avec la guerre conventionnelle d'hier. À nouveau, assurer l'indépendance de l'Europe, c'est aussi utiliser l'intelligence artificielle dans nos outils de guerre que vous et moi, on aurait préféré ne jamais rentrer dans ce débat-là. Mais il se trouve que l'intelligence artificielle n'est pas extérieure à ce débat-là. De même qu'il n'est pas extérieur au débat que l'ensemble de l'innovation de ce secteur d'activité, qui n'est pas rien dans notre pays, a aussi eu des conséquences civiles positives. Et donc on est aujourd'hui... en essayant de prendre tous les sujets ensemble, dans la nécessité de l'Europe d'utiliser, comme d'autres, l’intelligence artificiel, dans la rénovation de ces outils de sécurité et aussi de dissuasion. Voilà un sujet qui n'est pas dans le sujet de notre préoccupation et de notre saisine, mais qui est un vrai grand sujet. Quant à tous les autres sujets, c'est assez intéressant parce qu'on voit assez vite qu'on est du côté du bien commun. On se dit que quand les exemples que j'ai cités depuis le début, quand tout à coup on utilise l'IA pour que le GIEC aille trois fois plus vite entre deux rapports et sa capacité de modélisation du changement climatique, on n'a pas à prendre beaucoup de temps pour s'interroger si l'IA est importante. Quand tout à coup on a montré que l'IA avait permis de développer un nouveau traitement antibiotique, on ne va pas s'interroger très longtemps, etc. Quand tout à coup, on l'utilise, par exemple dans la réindustrialisation de l'Europe, pour faire des jumeaux numériques d'usines à construire, à la fois pour qu'ils soient en éco-conception, pour réduire les process, pour réduire les usages de matières premières, etc. On voit bien qu'on est du bon côté. Alors se pose à ce moment-là la question, qui il faut aborder, qui est la question, y compris dans l'appareil productif, de la place des hommes et des femmes et de la place de l'IA. Force est de constater que ça changera profondément la manière de travailler, mais ça n'enlèvera pas le travail et que on a d'une part à former, et on ne forme pas assez de gens dans les carrières scientifiques en France, on a à former des gens dans ces carrières-là, et puis on a à être attentif de la manière de le mettre en œuvre. Je crois que ça vaut le coup de réfléchir à des comités d'usage, à des comités d'éthique, à ce qui finalement fait du bien à chacun, que ce soit l'acteur public, l'acteur privé, vous et moi comme citoyens. Parce qu'à un moment ou à un autre, on a tous besoin collectivement que ce qui est mis en œuvre aille du côté du bien commun. Sinon, il n'y a plus que des perdants.
Mélanie RAPHAËL : On a abordé pas mal de sujets. Je me pose quand même une question sur ce que vous venez de dire. C'est assez facile de se dire qu'on est du côté du bien quand on voit le résultat. Mais en fait, pour arriver à ça, on a forcément eu beaucoup d'entraînement. Et la phase d'entraînement des IA est quand même assez consommatrice. Justement, vous parlez de formation, d'éco-conception. Est-ce que vous pouvez développer un petit peu aussi ce qu'on attend dans ce cursus pour les ingénieurs, par exemple ? Est-ce que ce serait technique ? Est-ce que ce serait aussi, on évoquait tout à l'heure avec Madame Tatot, la possibilité d'avoir d'autres corps de métier comme des sociologues qui puissent aussi former un peu les ingénieurs à se poser des questions des biais ? Est-ce que, par exemple, les questions d'énergie que vous connaissez bien devraient être enseignées dans ces formations ? Qu'est-ce qu'il y a derrière pour essayer de réduire justement toute cette partie qui est coûteuse en environnement et en énergie ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Oui, en tous les cas, on dit souvent, et je pense que le sujet de l'IA peut amener à l'affaire se réformer, que bien plus que dans d'autres pays dans le monde, les formations françaises sont chacun dans sa ligne de nage et peu de passerelles entre les différentes formations. Il y a une formation de sociologue, il y a une formation de l'ingénieur, une formation de financier, etc. Et que lorsqu'on compare le système français avec l'ensemble de ses spécialités, c'est d'ailleurs le mot qui est utilisé, les personnes qui sont formées dans chaque spécialité ne m'apparaissent pas aujourd'hui assez ouvertes aux autres ou sensibilisées, aux autres spécialités. Et donc probablement, et c'était d'ailleurs depuis le début l'enjeu du développement durable, c'est de se dire que doivent être concernées en même temps les questions sociales, environnementales et de gouvernance, de profit, de territoire et d'évolution. Au fond, on est à un moment donné où, de fait, je pense qu'il faut outiller chacun pour être en capacité peut-être d'être mieux en résonance avec d'autres types de spécialités. Par exemple, pour l'ingénieur, on a cité de sociologues. Pourquoi pas le philosophe ? Pourquoi pas d'autres types de réflexions ? Et qu'au fond, il faut les mettre ensemble, y compris dans le monde de l'entreprise. Quand aujourd'hui, les entreprises inventent des comités de parties prenantes, c'est peut-être le début de la démarche ou quand d'autres entreprises se mettent entreprise à mission, c'est-à-dire réfléchissent à ce à quoi elles servent sur la planète et comment faire en sorte de ne pas dévier de cette raison d'être. Il y a là probablement des sujets clés, de même que la réforme et la révision de la manière de former les acteurs. Alors, il y a des lieux où ils se forment. Si vous allez, par exemple, à l'Institut français du pétrole, qui est un lieu historiquement connu de formation sur le sujet cité, je crois que la plus grande majorité, aujourd'hui, des étudiants qui s'y forment, c'est à Reuil Malmaison, se forment aux énergies renouvelables. Donc là, on voit une évolution de ce cadre-là. C'est toute une réforme, probablement, du système d'éducation. La première réforme c'est du mode d'éducation parce que de fait l'IA met à disposition de chacun rapidement des informations qu'il n'avait pas par le passé et lorsqu'il s'est formulé sa requête de plus en plus intelligemment et donc il faut aller à l'école, à la faculté, pour accroître son sens critique, pour échanger plus que pour apprendre ce que l'on peut apprendre autrement. À nouveau, il n'est pas tout récent, mais le livre « Petit Poucet » donne pas mal de clés sur ce sujet.
Mélanie RAPHAËL : Très bien. Je pense qu'on a balayé plusieurs des recommandations. Est-ce que vous avez peut-être un sujet qu'on n'a pas abordé, un mot de la fin, quelque chose que vous voulez partager, notamment pour les agents du secteur public ?
Gilles VERMOT-DEROSCHES : Ce qu'on peut dire, c'est qu'on est à un moment crucial. Et quand on réfléchit à l'intelligence artificielle, il faut la réfléchir dans ce monde avec beaucoup de miroirs et tous les sujets doivent se penser en même temps. Dans un monde qui n'a jamais été autant fractionné qu'aujourd'hui, on en voit toutes les conséquences bien négatives et aussi d'anxiété. On peut y voir aussi pour l'Europe une nécessité d'arrêter de tergiverser pour construire ce qu'on n'a pas fait jusqu'à maintenant. Alors, on le voit sur la défense, mais on peut le voir aussi sur l'innovation. Pourquoi il y a ces GAFAM ? C'est aussi parce qu’on a considéré que le grand frère américain nous protégeait, nous protège et nous protégera toujours. Et qu'à ce moment-là, on a dit, il fait ça, on va faire autre chose, etc. On est dans un monde qui s'invente un peu différemment. Et porter ce regard sur l'intelligence artificielle aujourd'hui, sur ses conséquences sur l'environnement, mais aussi sur l'indépendance stratégique. On ne peut pas à la fois dire, on est en France, on ne veut pas de data center, parce que zéro artificialisation nette, parce qu'on va garder les usages pour autre chose, et à la fois, dans un autre jour, sur une autre discussion, vouloir être souverain. La donnée est une réalité clé de l'indépendance dans les années qui viennent. Un pays comme le nôtre a les moyens d'une part d'accroître sa souveraineté sur ses propres données, peut-être de participer avec d'autres à construire différemment le système, d'innover, d'investir, alors peut-être avec la recherche publique sur la formation des hommes et des femmes indispensables à ces métiers et à l'innovation, la recherche privée sur d'autres données indispensables pour mettre les innovations qui, sur le marché, permettront de gérer différemment l'industrie, le réseau électrique. Il ne faut pas oublier que sans l'intelligence artificielle, l'énergie renouvelable n'aura pas l'importance et l'intérêt qu'elle pourra avoir avec l'intelligence artificielle. Ce qui hier était disruptif du réseau, qui parfois posaient des vrais problèmes de faiblesse. Peu demain parce que cette énergie est prédictive, aussi bien l'éolien que le solaire, par des grands modèles qui permettront de le prédire. Mieux, faire discuter l'offre et la demande, ce qu'on n'a jamais fait jusqu'à maintenant. Quand on parle d'énergie aujourd'hui, on parle surtout de l'offre, du mix de l'offre. Assez peu de la gestion de la demande. Dans un monde qui devient plus électrique, avec des sources d'énergie plus disruptives, plus prédictives. Quand est-ce qu'il y a du soleil ? Quand est-ce qu'il y a un coup de vent ? Et quand beaucoup de consommations qui peuvent être associées à ce moment-là. On sait prendre plein d'exemples, du réfrigérateur, quand tout à coup, il y a un grand coup de vent sur toute la France pourrait baisser d'un degré, pour après, au moment de la pointe, ne plus être consommateur. C'est un tout petit exemple, mais il n'est pas rien dans les heures de pointe des français. C'est vrai aussi du chauffage. Je crois qu'on est en face d'un certain nombre d'innovations qui sont indispensables pour les transitions à venir, pour peu, qu'on sache les réguler et qu'on forme les entreprises qui ont un rôle très important, parce qu'elles sont souvent consommatrices fortement, et les citoyens pour utiliser au mieux et au meilleur moment ce qui est utile et l'IA peut y contribuer.
Mélanie RAPHAËL : Merci beaucoup et merci aussi pour ce mot de la fin. Je vous invite à retrouver l'ensemble des ressources et des podcasts sur « ecoresponsable.numerique.gouv.fr ». Merci beaucoup d'avoir échangé avec nous. Et bonne journée à toutes et tous.
Voix off : Merci d'avoir écouté cet épisode de « MiNumEchos ». Pour aller plus loin, retrouvez tous nos contenus, ressources et formations sur le site « ecoresponsable.numerique.gouv.fr » Et n'hésitez pas à écouter les autres épisodes de cette saison. A bientôt !